Exigence : Litterature

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    Esprit de voyageur

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    lamonne


    Messages : 1
    Date d'inscription : 22/01/2010

    Esprit de voyageur Empty Esprit de voyageur

    Message  lamonne Ven 22 Jan - 17:17

    Voici un extrait du livre Esprit de Voyageur - Récit d'un voyage initiatique. Ce récit de voyage est publié auprès de la fondation Fleur de Lys.

    Pour retrouver le texte intégral:
    http://manuscritdepot.com/a.arnaud-de-la-monneraye.htm

    EXTRAIT
    Esprit de voyageur, récit d'un voyage initiatique,
    Arnaud de La Monneraye, Fondation littéraire Fleur de Lys


    Prologue



    Longitude : 045W13 / Latitude : 032N19 – Océan Atlantique, mardi 17 mai 2005



    Je suis au beau milieu de l’océan Atlantique. Le GPS indique notre position : nous sommes à peu près à huit cents milles* nautiques de toutes côtes continentales, soit environ mille cinq cents kilomètres de n’importe quel bout de terre.

    Je suis étendu sur ma couchette. Incapable de lire, j’ai tout de suite le mal de mer. Je suis épuisé. Nous sommes ballottés dans tous les sens sous une pluie battante. Le vent s’est remis à souffler. Quinze jours que nous avons quitté la terre ferme. Nous devrions normalement être en vue des Açores... mais toujours rien.

    La semaine dernière nous n’avons pas avancé. La calmasse totale. « Pétole » ! Une mer d’huile sans un souffle de vent ; un lac. C’était la première fois que je voyais l’océan sans une ride. A des dizaines de milles à la ronde, le seul relief visible n’était matérialisé que par les très légères ondulations de l’eau jouant avec les reflets métalliques du soleil. Le tracé de notre route des derniers jours sur la carte marine de bord* est déprimant.

    Nous avons repris une allure plus qu’honorable mais le temps perdu a fini par jouer sur le moral de l’équipage et accentuer la morosité qui gagnait peu à peu certains d’entre nous que je sens au bord de la crise de nerf. Le retard accumulé est la goutte d’eau qui risque de faire déborder un vase déjà bien rempli.

    Nous avons embarqué à Bord de « Kalayaan », un voilier prototype de dix-huit mètres dont l’équipement vétuste n’en est pas à son premier tour joué. Nos deux moteurs à propulsion, qui font également office de générateur pour toute l’électricité de bord, sont quasiment hors d’usage depuis près de dix jours. Le tribut à payer est lourd : plus de frigos, restriction des sources de lumière, et un dessalinisateur d’eau de mer qu’on ne peut plus faire fonctionner que très occasionnellement.

    Cette situation finit par me peser et effrite petit à petit mon moral en béton, d’autant plus que ce jour-là, j’ai décidé d’en avoir marre d’avoir le mal de mer et d’être constamment obligé de m’étendre sur ma couchette pour faire passer ces mauvais moments.

    A vingt-trois ans, c’est la première fois que je prends le grand large ; ma première traversée d’un océan. Il y a deux mois, j’ai atterri en Martinique dans le but de traverser l’Atlantique à la voile. Le bateau, je ne le connais pas. Son skipper et le reste de l’équipage non plus. Nous sommes cinq à bord quand nous appareillons du port du Marin, à destination de la Guadeloupe puis des Açores, archipel au large du Portugal, première étape de notre transat. Je suis gonflé à bloc, plus motivé que jamais. J’entreprends alors le but ultime de mon périple initié il y a huit mois ; un voyage autour du monde qui m’a déjà porté en Asie du Sud-Est puis en Amérique Latine.



    J’ai été confronté à de nombreux moments de solitude, à la colère et l’incompréhension de nombreux visages, parfois même aux éléments déchaînés, mais toujours accompagné de cette même volonté et détermination qui m’auront conduit jusqu’à l’Atlantique. Mais cette fois-ci, je sens que mon moral flanche. Je me demande comment j’ai fait pour me retrouver là, au beau milieu de cette immensité, dans ce défi physique et psychologique où l’endurance est le principal facteur de réussite. C’est pourtant ce que j’ai désiré pendant de nombreuses années : me confronter aux éléments, me frotter à l’inconnu…

    Pour la première mais également la dernière fois au cours de mon voyage, j’ai douté de ma capacité à surmonter les épreuves. J’ai vécu ce moment où tout nous échappe : les motivations, l’intérêt et la raison même de vivre ce genre d’expérience. J’étais alors livré aux éléments, à mon embarcation, au skipper, au temps qui passe, en me demandant ce qui m’avait poussé à me retrouver ici, seul.

    Je me rappelle que ce jour-là je m’accusais d’avoir pris trop à la légère, avec cette insouciance qui me caractérise parfois, la décision de traverser l’Atlantique à la voile. Et pourtant, à la minute même où je posais le pied sur la terre ferme des Açores, je ne pensais plus qu’à une chose : recommencer !

    C’est sans doute dans ce genre de situations, au moment où l’on s’en douterait le moins, que naît cette flamme qui ne s’éteint plus : la soif de l’inconnu, l’envie de faire le grand saut et de se plonger alors avec délice dans le goût sucré de l’aventure.




    Le déclic



    Ce lundi-là aurait pu être un lundi comme les autres…

    Nous sommes le 20 septembre 2004 et ce premier jour de la semaine aurait pu ressembler à tous les autres jours de ces derniers mois passés à travailler en tant que chef de publicité dans cette agence de communication du dix-septième arrondissement parisien…à un petit détail prêt. C’est aujourd’hui que je dois rencontrer ma directrice commerciale pour un entretien d’évaluation ; entretien consistant à faire le point sur mes six mois de prise de fonctions au sein de l’agence.

    Je ne le sais pas encore, mais dans trois semaines, ma vie va prendre un tournant décisif. Je m’envolerai pour Bangkok, première étape d’un voyage autour du monde de douze mois qui me conduira sur quatre continents et un océan.



    Je franchis d’un pas décidé mais quelque peu angoissé, le seuil de la salle de réunion où doit se dérouler cette entrevue de routine qui, je l’imagine, va s’expédier rapidement. Bien que je rejette cordialement le cadre dans lequel j’évolue ; une supérieure sournoise et obnubilée par son rendement oisiveté/salaire qui trouve toujours plus de temps pour cracher sur ses collègues que pour prospecter un potentiel client, des gens qui traînent des pieds tous les matins pour venir bosser et pourtant convaincus que le poste qu’ils occupent est leur unique voie de salut, ou encore une hiérarchie qui ignore volontiers les tracas de ses subordonnés ; je reste convaincu que ma place est ici.

    Je me suis finalement fait à l’idée que pour me constituer un bon CV et faire carrière dans le monde de la communication, je dois continuer de travailler dans ces conditions. Certes, cela risque de ne pas être drôle tous les jours pendant encore au moins deux ans, mais je considère que c’est le laps de temps nécessaire pour apprendre ce métier et évoluer rapidement vers des postes plus responsabilisants où mon travail ne sera pas sans cesse repris par un chef toujours prêt à s’approprier les idées des autres.

    Caméléon que je suis, j’ai fini par m’habituer à ce monde hypocrite en restant sagement à ma place. Le travail est fait. Ma responsable ne me cherche plus maille à partir. Je ne manifeste certes pas assez mon adhésion à ce bel esprit d’entreprise, mais ne m’en demandez pas trop.


    Voici à peu près où j’en suis lorsque je referme la porte de la salle de réunion derrière moi.



    — Assieds-toi Arnaud, me lance cordialement la directrice. Comme tu t’en doutes certainement, nous avons décidé de ne pas donner suite à ta période d’essai, continue-t-elle de but en blanc avec son plus large sourire.



    Me voici tout d’un coup hébété.



    — Tu comprends…on ne te sent pas vraiment impliqué. Ton travail est fait ; il est même très bon… mais je ne te vois pas courir dans les couloirs ; tu ne manifestes aucun stress lors des coups de « speed ». Enfin bref… tu comprends… je crois que tu es trop… hum… détaché, me lâche-t-elle alors.



    Comment expliquer à cette personne qui ne me connaît absolument pas que je ne suis pas vraiment d’un naturel stressé et que je ne vois pas l’intérêt de rester bêtement plus tard à mon bureau pour simplement montrer à tout le monde que j’ai un boulot de dingue, surtout quand je me suis débrouillé pour qu’il soit fini à temps ? Tout d’un coup je prends conscience que je suis loin d’appartenir à son univers et que pour rien au monde je ne ferai partie de ces gens qui prennent l’habitude de courir dans les couloirs avec un dossier sous le bras, prenant juste le temps de glisser un « pas le temps je suis overbooké » dès que quelqu’un les interpelle.


    Faire semblant c’est pas mon truc. Mais malheureusement ici, j’ai l’impression qu’il n’y a que ça qui paye auprès de la direction, trop déconnectée du principal pour vraiment percevoir le travail de chacun.

    Effectivement, je suis bien obligé d’accepter les règles du jeu. J’ai oublié de m’affubler d’un masque et de jouer le rôle. Je suis donc forcé de quitter la partie.



    Une fois dans la rue, je me mêle à l’atmosphère encore douce de cette fin d’été. J’arpente les ruelles parisiennes sur mon vieux vélo hollandais délabré, qui a encore la bonne présence d’esprit de ne pas se déglinguer complètement. Sans que je ne m’en sois rendu compte, cette brave monture m’a reconduit chez moi. Les pensées se bousculent dans ma tête. Je viens de prendre une douche froide, mais celle-ci va me permettre de restructurer mes idées bien plus vite que je n’aurais pu l’imaginer.



    Le vendredi de la même semaine, alors que je prends subitement conscience d’être libre et détaché de toutes obligations, c’est le déclic ; le coup de pouce inattendu pour mettre au point un projet que je nourrissais déjà en moi depuis plusieurs années, sans pour autant en avoir clairement défini les contours.

    Ce soir, c’est l’assemblée générale des Assoiffés, équipe de rugby folklo que j’ai intégrée il y a deux ans. Les Assoiffés, c’est mon équipe. Une joyeuse bande de potes qui s’est constituée en association pour pratiquer sa passion, le rugby. Cette association est elle-même affiliée au niveau national à l’AFFR (Association Française Folklo de Rugby), dont le but est de faire rencontrer d’autres équipes du même acabit lors de tournois organisés tout au long de l’année.

    Comme à chaque fois dans nos rassemblements, cette réunion démarre de manière informelle avec quelques bières. On n’est pas « Assoiffés » pour rien. Évidemment, on se raconte nos vies.



    — Ca y est les gars, je suis chômeur, leur déclarai-je.



    (Ils ne comprennent pas trop comment j’ai réussi à me faire virer)

    L’un d’eux me lance :



    — C’est génial, tu peux faire ce que tu veux maintenant !



    Lui que tout le monde appelle Naudar, c’est Arnaud, le capitaine de l’équipe : quatre-vingt-dix kilos totalement inoffensifs, mais uniquement hors des terrains de jeu. Il ne demande qu’à faire vivre son esprit du rugby au travers d’une équipe soudée par sa bonne ambiance, ne se prenant surtout pas au sérieux, même si souvent il préfèrerait qu’on laisse un peu plus de côté nos conneries pour gagner quelques matchs ! Nous ne nous connaissons que finalement assez peu, mais notre amitié sincère repose sur une approche assez identique de la vie privilégiant la spontanéité et l’échange plutôt que la réserve.

    C’est cette philosophie qui va nous rapprocher.

    En effet, après quelques minutes de discussion, il m’apprend que dans deux semaines il part en Asie du Sud-Est pour trois mois avec un de ses vieux potes, ancien webmaster du site Assoiffés. J’ai déjà entraperçu une ou deux fois ce dernier lors d’évènements organisés par l’équipe.

    Et comme entre Assoiffés l’ambiance est plutôt détendue, il me rajoute à la volée que si je veux, je peux me joindre à eux.

    …Tiens, c’est pas idiot cette idée ! Je prends le parti d’envisager sa proposition au sérieux et lui réponds sur le même ton désinvolte que son projet me plait bien !

    Il ne fallait pas plus que cette simple proposition pour que quinze jours plus tard nous nous retrouvions tous les trois dans les rues de Bangkok !

    Voici donc comment j’ai très vite décidé de me lancer dans un voyage d’un an, dont la première tranche serait partagée en terres asiatiques avec mes deux nouveaux compères.



    Cette décision, prise très soudainement, le fut surtout aux yeux de mon entourage. Ce voyage, il vivait en moi depuis déjà plusieurs années comme un rêve et c’est Naudar qui m’a permis de lui donner corps par une simple phrase lancée de manière anodine. Il ne manquait plus que la réunion d’un ensemble d’éléments pour que ce projet voie enfin le jour, et ce vendredi-là, je me suis rendu compte que tous les facteurs favorables à cette expérience étaient réunis.

    Depuis ma plus tendre enfance, je baigne dans les histoires de mon père qui a lui-même effectué un tour du monde des océans à la voile. Fasciné par toutes ses traversées, ses mythes et ses légendes, je m’étais promis, déjà tout petit, de réaliser un périple du même genre. Les terres du monde entier, leurs civilisations et toutes les rencontres que je pourrais y faire me fascinaient alors. Durant toute mon adolescence, je me suis juré de partir au moins un an réaliser ma propre expérience afin de m’ouvrir au monde extérieur. Une échappée, en quelque sorte, dans mon petit monde parisien. Ce projet, toujours quelque part dans un coin de ma tête, n’attendait que le bon moment pour naître au grand jour.

    Et ce moment, c’était maintenant ! Le moment ou jamais.



    En ce mois de septembre 2004, après une expérience de deux ans au sein de deux agences de communication différentes, je me suis déjà fait une idée du monde du travail. Mes diplômes en poche, et cette première expérience achevée, rien ne me retient.

    Désormais, je ne pense plus qu’à une chose : changer de registre, et ceci à la vitesse supérieure. J’ai besoin de plus. Plus que jamais j’ai la bougeotte. L’appel de la route devient pressant. Je le sens, je le devine, je dois partir.

    Après avoir accepté la proposition d’Arnaud, je me décide à creuser un peu plus le concept de mon voyage. Je ne m’arrêterai pas à l’Asie. Je veux poursuivre en Amérique du Sud. Je voyagerai seul, car je suis convaincu qu’en solo j’en apprendrai beaucoup sur moi-même et les gens qui m’entourent. Mais j’éprouve également le besoin de marquer ce voyage par une étape encore plus forte : la traversée d’un océan à la voile. Cette idée folle est fortement reliée à la nécessité de me confronter aux éléments ; de me tester dans des situations que je ne maîtrise pas. Bien que très peu familiarisé avec la voile, j’ai toujours baigné dans le monde de la mer et cet appel du grand large, aussi flou soit-il, se fait ressentir au plus haut point.

    Voici donc, dans les grandes lignes, le projet qui naît progressivement en moi.



    Il ne me reste plus qu’à annoncer à mon entourage mon départ imminent pour ce grand voyage. En termes pratiques, je peux financièrement assurer une année de dépenses sans rentrées d’argent car j’ai suffisamment économisé lors de mes deux années de labeur. Évidemment, il ne faudra pas trop que je tire sur la corde. De toutes manières, le concept de mon voyage est de partir sac au dos à l’aventure, à la rencontre des gens, avec le minimum de moyens. Pour ce qui est du bateau et d’une éventuelle traversée, j’ai eu le temps en quelques jours de trouver par le biais d’Internet un embarquement sur un voilier au départ de Saint Martin dans les Antilles pour rentrer en France au mois de juillet. Un jeune couple, habitué des charters* recherche en effet des équipiers pour une durée de trois mois. Le trajet consiste à rallier les Bermudes, puis les Açores et continuer enfin vers la Méditerranée. Ils sont a priori d’accord pour me prendre, malgré mon minimum d’expérience. Je serai déposé dans le sud de la France. Telle devrait être ma dernière destination.

    Aussi, quand j’embarque dans l’avion à destination de Bangkok le 8 octobre 2004, les grands axes de mon voyage sont déjà imprimés en filigranes dans ma tête. J’ai bien une idée grossière des différentes étapes et de leur enchaînement, mais je n’en sais pas tellement plus. C’est l’inconnu, excitant et grisant à la fois ; la clé de mon voyage. Je n’ai même pas encore l’accord ferme et définitif de mon embarquement sur l’Atlantique. Mais bon, l’essentiel est que je sache ce que je veux faire et où je souhaite aller. Cela me suffit. Le reste suivra.



    Lorsque j’expose enfin mon projet à mes parents, la réaction de ma mère est celle de n’importe quelle mère. Elle est terrorisée ! Surtout quand je lui parle de mon idée de traverser l’Atlantique à la voile. Quant à mon père, je crois qu’il avait compris depuis bien longtemps qu’un jour je partirais et semble heureux pour moi que le moment ce soit enfin présenté. Lui qui a déjà voyagé seul prend ce projet avec grande considération et à aucun moment avant le départ il ne cherchera à me faire douter de l’intérêt de cette opération ou de ma propre motivation.

    Quant à mes amis, évidemment, c’est l’explosion. Depuis le temps que je leur parle de mes projets de tour du monde, ils sont au comble de l’excitation et partagent mon enthousiasme. C’est que, dans leur grande majorité, eux aussi ont déjà voyagés seuls ou en bandes avec très peu de moyens, durant des périodes beaucoup moins longues certes, mais cette soif d’exploration, ils la comprennent et la partagent avec moi. Ce sera important pour la suite.

    Le contexte relationnel dans lequel j’évolue est donc favorable et propice à un départ imminent. Très important pour la confiance en soi ! Cette confiance va d’ailleurs s’accentuer lorsque je vais annoncer à mes anciens collègues et néanmoins amis pour la plupart, mon projet de départ à l’autre bout du monde. Il m’a bien semblé réveiller alors chez eux, de vielles frustrations...

    A leur stade de responsabilités, il leur devient tout à fait inconcevable de réaliser un projet d’une telle envergure. C’est pourquoi ils sont tous aussi abasourdis par cette nouvelle :



    — Mais comment vas-tu vivre pendant un an ? Et avec quel argent ?

    — Tu sais déjà où tu vas dormir ?

    — Mais que vas-tu faire lorsque tu vas rentrer ? Et ta carrière ?

    — En même temps, ce projet, c’est génial ! Petit veinard, t’as vraiment de la chance… c’est vrai que c’est le moment ou jamais.



    Je réalise alors qu’il faut que je parte maintenant si je ne veux pas éprouver un jour les mêmes angoisses face à ce type d’aventure. Je m’en doutais déjà, mais ils me font comprendre avec leurs réactions à quel point je refuse l’idée de rentrer dans la spirale d’une vie monotone qui petit à petit a gagné un grand nombre d’entre eux. Je ne veux pas encore d’une vie où mes choix seront dictés par les impératifs de mon boulot, même si je sais qu’un jour ça risque d’être le cas. Mais pas tout de suite, surtout pas !

    Pour eux, ce projet est inconcevable à cause des priorités qui pèsent dans leur vie et du statut qu’ils occupent au sein de leur entreprise, ce qui est d’ailleurs tout à fait compréhensible. Leur emploi, c’est le pivot de leur vie. S’ils le quittent, alors comment payer le loyer mensuel ? Et le petit copain ou la copine qu’ils ne pourraient laisser derrière eux ? Il est vrai qu’en ce qui me concerne, je n’ai pas d’attache particulière ici, ne laissant derrière moi aucune relation qui, avant de partir de manière si expéditive, m’aurait sans aucun doute amené à y réfléchir à deux fois.



    Me voici donc « préparé » à cette grande aventure. Plus que quelques jours avant le départ. J’ai réussi à réserver un vol, différent de celui de Chuck et Naudar, mais prévu le même jour.

    Chuck (ou Chucky), de son vrai prénom Charles ; c’est le deuxième larron. Il me ressemble physiquement. On nous prendra pour deux frères ou deux jumeaux la plupart du temps. Et bien oui ; allez différencier deux asiatiques l’un de l’autre ! Et bien pour eux, c’est pareil. Tous les blancs se ressemblent ! Ce Chucky semble plus que jamais disposé à voyager « cool ». C’est pas le genre stressé !

    Quelques soirées de discussions avant le départ me font comprendre très rapidement que nous sommes tous sur la même longueur d’ondes. Il ne m’a en effet pas fallut plus de trois minutes pour découvrir que nous partagions tous les trois le même état d’esprit : on voyagera à la « roots », comme on dit dans le jargon du parfait petit baroudeur, c'est-à-dire sans vraiment privilégier le confort, cherchant à profiter un maximum sans dépenser, ou peu. Avec le peu de moyens dont nous disposons, nous allons parcourir quatre pays en bus, en moto, en bateau, voire même en avion pour les étapes plus difficiles. On dormira dans les hôtels les moins chers ou à la belle étoile si les conditions le permettent. Notre sac à dos sera notre seule maison.

    Côté organisation, nous ne sommes que très peu préparés à la veille du départ, mais ça fait partie de la règle du jeu ! C’est tout juste si on ne s’appelle pas quelques heures avant le départ pour faire un dernier check-up de ce qu’on a choisi d’emporter avec nous ! Je me rends compte alors qu’eux-mêmes, bien qu’initiateurs du projet, n’ont pas vraiment pris la peine de se poser les questions techniques les plus élémentaires pour le voyage. C’est que pour partir, il faut des visas ; une idée des endroits où effectuer nos étapes qui passe au moins par une lecture en survol des guides des pays que nous allons traverser (dont d’ailleurs la moitié nous manquent encore à deux jours du départ), et tout cela n’est pas encore vraiment au point. Mais ce n’est qu’un détail. Il nous suffira de nous informer des bons plans sur place.

    Quoi qu’il en soit, moins le voyage est au point, plus les surprises peuvent être de taille. Je pars du principe que c’est là-bas que nous devrons faire nos marques. Nous apprendrons à nous mêler aux coutumes locales. Telle est notre conception du voyage : apprendre sur le terrain et adopter autant que possible une manière de voyager calquée sur les mentalités locales.



    Maintenant, le départ est imminent, l’euphorie à son comble. La veille du grand jour passe par le classique rituel du pot de départ. Ils sont tous venus nous encourager et nous féliciter d’avance pour les trois mois qui viennent. Nous prenons pleinement conscience ce soir-là d’être définitivement embarqués dans l’aventure. Pas de retour en arrière possible, ce qu’aucun d’entre nous ne souhaiterait d’ailleurs pour rien au monde.

    Pour moi, cette dernière soirée en compagnie des être chers est plus lourde de significations. Les personnes présentes savent que j’ai décidé de partir pour une période bien plus longue, mais peu d’entre elles se rendent vraiment compte encore du sens profond que je donne à ce grand saut.

    L’aventure dans laquelle je me lance revêt alors à mon sens un caractère initiatique qui devrait, j’en suis persuadé, m’apporter une ouverture supplémentaire sur le monde qui m’entoure, avec toutes les répercutions que je devine irrépressibles sur ma propre vie. Je suis convaincu que lorsque je rentrerai définitivement de mon périple, dans un an, j’aurai gravi un échelon supplémentaire ; franchi un cap dans ma propre vie. Une sorte de rite initiatique marquant le passage de la vie de grand adolescent à celle d’adulte responsable.

    C’est ce que nous verrons…



    * * *



    Jeudi 8 octobre 2004 : Albin, un autre Assoiffé communément appelé « La Bine », m’attend au carrefour de ma rue dans sa voiture avec Naudar à bord. Destination : l’aéroport. Je suis en théorie le dernier de la tournée, mais pas de Chuck… Cet étourdi a tout simplement oublié de se réveiller, perdu dans les bras de sa douce.

    L’enregistrement des bagages ne nous attend pas. L’avion de mes deux acolytes est certes plus tard que le mien, mais en ce qui me concerne, l’heure presse et nous ne pouvons plus attendre. Nous laissons donc derrière nous notre malveillant Chucky qui arrivera en catastrophe à l’aéroport de bien nombreuses minutes plus tard…in extremis.

    Ça commence bien ! Nous sommes déjà dans l’ambiance.

    Voilà qui promet pour la suite…


    Pour retrouver le texte intégral:
    http://manuscritdepot.com/a.arnaud-de-la-monneraye.htm

      La date/heure actuelle est Ven 26 Avr - 15:57